“Le 10 septembre, je partis joyeusement pour Laubardon. Je m’embarquai à Uzerche, au petit matin, et je descendis à Bordeaux, car, avais-je écrit à Zaza, “je ne peux pas traverser la patrie de Mauriac sans m’y arrêter”. Pour la première fois de ma vie je me promenais seule, dans une ville inconnue. Il y avait un grand fleuve, des quais brumeux, et déjà les platanes sentaient l’automne. Dans les rues étroites, l’ombre jouait avec la lumière; et puis de larges avenues filaient vers des esplanades. Somnolente et charmée, je flottais, légère comme une bulle. Dans le jardin public, entre les massifs de cannas écarlates, je rêvais à des rêves d’adolescents inquiets. On m’avait donné des conseils: je bus un chocolat sur les allées de Tourny; je déjeunai près de la gare dans un restaurant qui s’appelait Le petit Marguery: jamais je n’avais été au restaurant sans mes parents. Ensuite, un train m’emporta le long d’une voie vertigineusement droite que bordaient à l’infini des pins.”
Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée
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